LAPERLE-PARIS.COM | 11.12.2024 | REPORTAGE
Après huit ans passés à Aubervilliers, les artistes du Houloc sont contraints de quitter leurs locaux en 2025. Un tournant pour ce collectif qui doit, comme beaucoup d’ateliers basés en banlieue parisienne, se plier à la pression immobilière des promoteurs. Mais comment partir après avoir mis autant de temps à s’installer ?
Aubervilliers, rue du Tournant, nous sonnons au numéro 3. Derrière le portillon, une cour pavée, bordée d’arbustes et de glycines. On se sent ici à l’écart du monde, bien à l’abri de l’agitation du quotidien. Au fond, des tables, des chaises dépareillées, et un petit couloir qui mène à une ancienne usine de menuiserie. C’est ici que travaillent les artistes de l’atelier du Houloc. “Tout cela va nous manquer” lance Lenny Rébéré, membre du collectif depuis ses débuts.
Composé de 22 membres, peintres, sculpteurs, dessinateurs, photographes, le Houloc est implanté dans le quartier depuis 2016. Huit années à développer et parfaire son mode de fonctionnement, à nouer des liens avec les habitants et les associations voisines. Mais le récent changement de propriétaire les contraint à quitter les lieux au 30 novembre 2025. Ils ont un an pour réagir, partir et tout reconstruire. Ailleurs.
Aider les jeunes artistes diplômés
Au premier abord, le lieu paraît désordonné. Notre regard bute sur les multiples cloisons, montées au fil des ans pour diviser et organiser les 800 mètres carrés du hangar. Sur la droite, en entrant, une cuisine longe un grand espace vide. Murs blancs, sol brut, cette salle nue sert d’espace d’exposition pour tous les artistes membres de l’association. Chacun peut le réserver pour y organiser un accrochage ou un shooting. Des expositions collectives sont également organisées.
Constituée en association loi 1901, le Houloc est à l’origine un regroupement d’une dizaine d’artistes. Ils sont à l’époque tout juste diplômés des Beaux-Arts de Paris et ne disposent d’aucun endroit pour travailler, ni d’un revenu suffisant pour assumer le prix d’un studio.
En 2016, au bout d’un an de recherches, ils trouvent finalement cette usine abandonnée grâce à une de leur connaissance, qui convainc le propriétaire de laisser s’installer des ateliers. Problème, les coûts d’occupation sont encore trop élevés. Qu’à cela ne tienne, les fondateurs recrutent sept nouveaux membres. Le Houloc, dans sa forme actuelle, est né.
Son modèle est bien éloigné du squat, auquel on pense souvent. Autorisé à occuper les lieux, le Houloc est parfaitement organisé. Tous les ans, les responsabilités sont redistribuées parmi les membres dans un bureau tournant. Chacun peut, à tour de rôle, occuper le poste de président, de trésorier, de responsable de la communication ou des partenariats.
“Tout le monde se trouve pleinement investi dans la gestion de l’association, sans qu’il n’y ait de chef” explique Lenny Rébéré.
Pendant qu’il nous fait visiter les ateliers individuels, Mélissa Boucher, Lise Stoufflet et Célia Coëtte nous rejoignent. Toutes trois sont membres du bureau depuis sa création. Nous nous installons dans la salle de réunion, une mezzanine qu’ils ont eux-mêmes construite. Ces huit dernières années, les aides et les bourses que l’atelier a obtenues, notamment l’Aide Financière aux Ateliers (AFA) émanant de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC), leur ont permis d’aménager le local et surtout d’investir dans du matériel.
Le Houloc s’est ainsi doté d’un atelier de menuiserie, avec ses établis, ses scies et ses marteaux, ses ponceuses, ses meuleuses. Un outillage et des machines laissés à la disposition de tous. “L’idée, c’est de partager l’espace, le matériel, mais également les savoir-faire. Si l’un d’entre nous veut s’essayer à la céramique ou à la gravure, il peut demander conseil à ceux qui en maîtrisent les techniques”, précise Lenny Rébéré. Tel est l’esprit du collectif.
Reste le loyer. Bien qu’inférieur à 200€ par personne, il demeure le plus gros poste de dépense. Heureusement, la Fondation de France leur a octroyé une aide substantielle, couvrant un quart du coût total (ndlr : La Fondation de France est le premier réseau de philanthropie dans notre pays. Elle abrite et gère les donations de plus de neuf-cent fondations)
“Actuellement, pour un loyer total de 68 500€ par an, 51 000€ sont couverts par les cotisations des membres et 17 500€ par l’aide de la Fondation de France”, détaille Lise Stoufflet, l’actuelle trésorière du Houloc. Sans cette solidarité, sans les aides de l’État, des collectivités et des fondations, le Houloc aurait bien du mal à tenir, ce même si l’essentiel des dépenses restent prises en charge par ses membres.
Un lieu de rencontre avec le public
Le modèle de l’atelier collectif n’a rien de nouveau. Il s’est en revanche beaucoup professionnalisé ces dernières années, en se tournant notamment vers la programmation d’activités ouvertes au public, la location d’espaces ou de services. C’est le cas par exemple du Wonder, à Bobigny, un atelier beaucoup plus vaste et qui loue des espaces de stockage et des studios photo.
De la même manière, le Houloc ne reste pas replié sur lui-même. La vie de l’atelier s’ouvre régulièrement au public, grâce aux expositions, aux soirées de performances et de projections, ou bien encore au désormais traditionnel dîner de Noël. Une programmation rendue possible, là encore, par les différents subsides qu’ils obtiennent et qui leur permettent de rémunérer correctement les intervenants invités.
“Sans les aides, il n’y aurait pas autant d’événements, et c’est parce que nous proposons cette programmation que nous pouvons demander des subventions”, reconnaît Lenny. Surtout, cela crée des opportunités pour la suite : “ces moments donnent du sens au lieu parce qu’ils permettent de rencontrer d’autres artistes, des commissaires d’exposition, des journalistes.” confie Lise Stoufflet.
Avec près de 1200 visiteurs par an (une centaine pendant chaque exposition), le Houloc est donc un lieu animé, fréquenté, perméable. Pourtant, tous le rappellent, c’est avant tout leur atelier, là où ils viennent chaque jour produire leurs œuvres.
“Certains ateliers passent la majeure partie de leur temps à s’occuper de la programmation, raconte Lise Stoufflet. C’est leur choix, mais pour nous c’est important de garder le plus de temps possible pour notre pratique artistique, de conserver un atelier à taille humaine.” Lenny Rébéré abonde : “On n’est ni une galerie, ni un bar, ni un centre d’art. On ne cherche pas à rendre le Houloc rentable.”
Un nouvel espace… et de nouveaux membres ?
Mais voilà qu’il faut partir. Durant le COVID, les locaux ont été vendus. Le nouveau propriétaire ne souhaitait pas poursuivre l’aventure avec les artistes. Il préférait revendre le terrain à un promoteur. Le quartier a changé, le métro est arrivé et la demande de nouveaux logements va croissante. Si les membres du Houloc regrettent, ils ne sont pas étonnés, cela devait arriver.
Ils cherchent donc désormais un nouvel espace pour les accueillir. Avec cette fois une meilleure connaissance de leurs besoins et des écueils à éviter. “Et puis, si le nouvel espace est plus grand, si le loyer augmente, il faudra peut-être recruter de nouveaux membres” lance Lise Stoufflet.
Pour cause, la demande devrait ne faire qu’augmenter. De nombreuses fermetures d’ateliers sont en effet attendues, notamment dans la banlieue Nord-Est de Paris, partout où les projets de construction reprennent, au détriment des squats ou d’occupations jugées non-rentables.
Le temps de la jachère artistique est terminé, l’heure est à la récolte des terrains disponibles. “Bien sûr, il y a beaucoup de tristesse, reconnaît Célia Coëtte. Quitter ces lieux qui ont été chez nous pendant 8 ans, quand j’y pense, ça me pince le cœur. Mais en même temps, il y a de l’excitation ! Changer de lieu, tout reprendre, en mieux !”
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Thibault Bissirier, pour La Perle.
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