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Thibault Bissirier

Robert Smithson, pop et collagiste avant lui-même

THESTEIDZ.COM | 15.02.2024 | EXPOSITIONS


Concentrée sur les œuvres sur papier que Robert Smithson a réalisées au début des années 1960, l’exposition que consacre la galerie Marian Goodman avec la Holt/Smithson Foundation marque une étape méconnue dans la carrière de l’artiste. Dessin, collage, aquarelle et gouache esquissent un intérêt prononcé pour la pop culture et ses motifs, bien loin du Land art que Smithson enclencha quelques années plus tard. 


Bien avant de se consacrer à la sculpture, Robert Smithson (1938-1973) fut peintre et dessinateur. Il faut se rappeler ses premières expositions, notamment celle de 1961 à Rome, à la galerie George Lester, qui rassemblait un ensemble d’œuvres particulièrement expressives, aux influences multiples, étranges synthèses entre art catholique et Pop art. Marqué par son séjour au cœur des ruines du vieil empire déchu, Smithson continuera d’expérimenter dans cette voie figurative et syncrétique encore quelques années, avant le revirement minimaliste et conceptuel que l’on connaît. Nichée entre 1960 et 1964, cette production méconnue se trouve mise à l’honneur par la galerie Marian Goodman, à Paris, à travers une sélection d’œuvres sur papier rarement montrées. 


Mais alors, que voit-on ? Une première série de gouaches, datées de 1960-1961, nous offre un aperçu de ce que fut la période mystique-catholique du jeune Smithson. Ici une main, des pieds, aux stigmates stylisés, et puis un profil d’agonie dans des tons d’ecchymose, le front bardé d’épines, l’œil vide, la langue tirée, entre la sainte extase et la pièce de boucher. Sur quelques autres feuilles réalisées l’année suivante et dessinées cette fois-ci uniquement à l’encre noire et à la plume, des anges bodybuildés survolent des architectures impossibles au milieu de nuées de lettres, de chiffres et d’incompréhensibles formes. Le style rappelle le trait méticuleux des symbolistes, la verve surréaliste de l’écriture automatique. Gustave Moreau, André Masson, Max Ernst ne sont pas loin. Progressivement, le photo-collage apparaît, tandis que le crayon remplace l’encre et la gouache. Dans Mars-Venus (1961-1963) les dieux de l’antiquité ont détrôné le Christ et posent en pornstars domestiques devant leur poste de télévision. On commence à comprendre comment Smithson s’éloigne du religieux pour préférer des motifs plus classiques, qu’il combine avec des éléments de la pop culture. C’est d’ailleurs sur ce dernier corpus des années 1963-1964 que l’exposition se concentre.


Soit la page quadrillée d’un cahier d’écolier sur laquelle des pin-up côtoient des dinosaures, des motards défroqués et des reproductions d’œuvres antiques. C’est kitsch, c’est camp. À première vue, on pourrait croire à de potaches combinaisons d’esquisses et de coupures de presse. Mais à mieux y regarder, une sorte de système s’impose : au centre, une photo en noir et blanc, et tout autour, cet enchevêtrement de sphinges et d’androgynes, environnés de multiples symboles. La formule n’est pas sans rappeler les mises en page des manuscrits enluminés du Moyen Âge, également bordés d’entrelacs et de monstres bizarres. Encore une référence, dira-t-on. Encore une, oui, et l’on pourrait ainsi continuer de les invoquer jusqu’à l’usure. Car ce que fait Smithson en mêlant les registres les moins bien assortis, du plus sacré au plus profane, revient précisément à user l’imagerie contemporaine pour en souligner l’entropie, c’est-à-dire le délitement inévitable de la valeur, et partant, la perte de sens dont la société à laquelle elle renvoie se trouve être victime. Ce que l’artiste entame ici, durant quelques années, n’est autre qu’une réflexion critique sur la chute du modernisme. Sa méthode ? Accumuler les signifiants — devenus pour la plupart insignifiants — les combiner sans hiérarchie ni contexte, sans intention, seulement des « références à », comme on écrirait un essai avec uniquement des notes de bas de page pour, à la fin, faire trébucher l’énonciation jusqu’au limite du non-sense. Et puis…


Et puis, tout reprendre à zéro. À partir de 1964, Robert Smithson abandonne définitivement la figure humaine, ainsi que toute forme de narrativité, même fortuite. Il s’engage pleinement dans le minimalisme et entame ses premiers projets d’installations monumentales dans le paysage. Il aura fallu avant cela pousser le curseur du relativisme jusqu’à son point de rupture. Épuiser la modernité, son héritage, faire table rase.


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Exposition “Robert Smithson. Mundus Subterraneus – Early Works”

Jusqu’au 24 février 2024 at Galerie Marian Goodman

79 & 66, rue du Temple – 75003 Paris



Robert Smithson, Mars-Venus, 1961-1963, crayon graphite, gouache, photo-collage, aquarelle sur papier, 45.7 x 61 cm. Photo : Dan Bradica. © Holt / Smithson Foundation / Licensed by Artists Rights Society, New York. Courtesy de Holt / Smithson Foundation et Marian Goodman Gallery. 



Robert Smithson, Untitled, 1963, crayon graphite et crayon de couleurs avec collage sur papier, 61 x 45.7 cm. Photo : Alex Yudzon. © Holt / Smithson Foundation / Licensed by Artists Rights Society, New York. Courtesy de Holt / Smithson Foundation et Marian Goodman Gallery.



Robert Smithson, Untitled, 1964, marqueur avec collage sur papier graphite, 43.2 x 55.9 cm. Photo : Rebecca Fanuele. © Holt / Smithson Foundation / Licensed by Artists Rights Society, New York. Courtesy de Holt / Smithson Foundation et Marian Goodman Gallery.



Robert Smithson, Creeping Jesus, 1961, photo-collage et gouache sur papier, 45.7 x 35.6 cm. Photo : Alex Yudzon. © Holt / Smithson Foundation / Licensed by Artists Rights Society, New York. Courtesy de Holt / Smithson Foundation et Marian Goodman Gallery.



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